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  Rencontre avec A.Erdogan, lauréate du prix S.de Beauvoir2018 / rfi.fr, Catherine Fruchon—Toussaint / 10.1.2018
  À l’occasion de la venue à Paris de la journaliste et romancière turque Asli Erdogan qui reçoit ce mercredi 10 janvier le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes 2018, retour sur un entretien qu’elle avait accordé à RFI en octobre dernier à la Foire internationale du livre de Francfort.

C’était la première fois depuis sa liberté provisoire qu’Asli Erdogan sortait de Turquie. Arrêtée en juillet 2016, emprisonnée pendant 136 jours, accusée de « crime », celui de « destruction de l’unité de l’Etat » suite à ses écrits, romans, essais et chroniques dans un journal de gauche, Asli Erdogan était apparue amaigrie et fatiguée. Néanmoins, dans l’attente de son jugement en février prochain où elle risque la prison à vie, elle a accepté de répondre aux questions de Catherine Fruchon—Toussaint.

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TURQUIE FRANCE CULTURE PRIX LITTÉRAIRES LITTÉRATURE
Rencontre avec Asli Erdogan, lauréate du prix Simone de Beauvoir 2018
Par Catherine Fruchon—Toussaint Publié le 10—01—2018 Modifié le 10—01—2018 à 00:24
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La romancière turque Asli Erdogan à Francfort, en octobre 2017.
Catherine Fruchon—Toussaint / RFI
À l’occasion de la venue à Paris de la journaliste et romancière turque Asli Erdogan qui reçoit ce mercredi 10 janvier le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes 2018, retour sur un entretien qu’elle avait accordé à RFI en octobre dernier à la Foire internationale du livre de Francfort.

C’était la première fois depuis sa liberté provisoire qu’Asli Erdogan sortait de Turquie. Arrêtée en juillet 2016, emprisonnée pendant 136 jours, accusée de « crime », celui de « destruction de l’unité de l’Etat » suite à ses écrits, romans, essais et chroniques dans un journal de gauche, Asli Erdogan était apparue amaigrie et fatiguée. Néanmoins, dans l’attente de son jugement en février prochain où elle risque la prison à vie, elle a accepté de répondre aux questions de Catherine Fruchon—Toussaint.

RFI : C’est un honneur, une joie, de vous rencontrer aujourd’hui, libre, comment vous sentez vous ?

Asli Erdogan : C’est d’abord une surprise d’être là pour moi, je ne m’attendais pas à ce qu’on me rende mon passeport, et soudain après plusieurs mois de lutte, je l’ai reçu. Je ne sais pas ce qui changé d’un jour à l’autre, mais ils me l’ont donné, même si je n’étais sûre de rien jusqu’à la frontière.

Donc vous étiez inquiète ?

Bien sûr ! Je le suis toujours.

Donc, vous voilà en Europe, et particulièrement en Allemagne pour recevoir le Prix de la paix Erich—Maria—Remarque, était—ce important pour vous de venir ?

L’an dernier quand j’étais en prison, j’ai reçu plusieurs prix comme le prix Tucholsky, que j’ai fêté derrière les barreaux, puis j’ai été récompensée par le prix culturel de la Fondation Européenne où je n’ai pas pu aller, le prix Bruno Kreisky que je n’ai pas pu aller chercher, puis il y a eu le prix de la Paix Erich—Maria Remarque, et là ça a commencé à devenir un peu douloureux de manquer toutes ces cérémonies. Par ailleurs, je suis écrivain, donc mon rôle c’est d’assister aux débats, aux festivals, de rencontrer mes lecteurs, ça fait partie de mon métier. Et comme pendant un an, j’ai été empêchée d’aller à quelque évènement littéraire, maintenant je me rattrape, je reprends mes activités et je retrouve mon public.

Saviez—vous qu’il y avait autant de gens à l’extérieur qui vous soutenaient lorsque vous étiez incarcérée, qui vous écrivaient, qui avaient lancé une opération « carte postale » pour vous ?

Oui j’ai reçu environ un millier de cartes postales pendant mon emprisonnement qui venaient du monde entier jusqu’en Nouvelle—Zélande. Donc j’ai compris qu’il y avait une forte campagne de soutien, mais je ne réalisais pas son ampleur. Et en sortant j’ai eu un choc en découvrant que j’étais devenue une romancière célèbre, et je n’étais pas préparée à ça. Mais je suis très reconnaissante, particulièrement pour les cartes postales, qui à mon avis ne m’ont pas été toutes délivrées. La sécurité de la prison ne les donnait pas toutes. Mais certaines étaient si poignantes, que je les ai gardées, même si malheureusement j’ai dû en laisser beaucoup derrière moi à Istanbul. En tous cas ça remonte énormément le moral quand on est prison de savoir que les gens pensent à vous à l’extérieur, de ne pas se sentir oubliée. C’est peut—être la chose la plus importante.

Est—ce que vous êtes aussi en Europe pour parler de votre expérience et de la liberté d’expression ?

Oui, c’est un problème très grave. D’ailleurs moi—même je suis seulement en liberté et pas encore acquittée. Il y a encore environ 180 écrivains et journalistes en prison, et d’autres sont sur des listes d’attente, la situation en Turquie est extrêmement inquiétante en ce moment. Donc, j’ai une responsabilité envers ceux qui sont encore incarcérés, qui sont en procédure judiciaire, comme moi, ou ceux qui seront poursuivis prochainement.

Il faut que nous soyons des porte—parole. Car je pense que si la plupart des gens ont compris qu’il y avait des problèmes en Turquie, ils ne peuvent pas mesurer leur importance, ni à quel point cela s’est empiré. On doit raconter précisément les faits, les détailler, dire haut et fort ce qu’on ne peut pas imaginer. Par exemple, dans une manifestation, on a entendu que Spinoza et Camus étaient des « terroristes », c’est à ce point… Vous imaginez Spinoza accusé de faire partie du PKK [le Parti des travailleurs du Kurdistan] ? Ça dépasse l’entendement pour les personnes saines d’esprit.

Est—ce que celles et ceux qui sont restés en prison comptent sur vous ?

Je ne sais pas, sans doute. Chacun d’entre nous doit soutenir les autres. Mais par exemple, certaines personnes qui sont venues me rendre visite en prison sont, à leur tour, incarcérées. Mais je ne peux pas aller les voir, seuls les avocats, ou la famille proche ont le droit. Donc ce n’est pas facile de montrer sa solidarité, je suis sure que même si je leur écrivais, mes lettres ne leur seraient pas données. Ce que je peux faire c’est dire l’absurdité des charges contre eux, de leur enfermement sans la moindre preuve, et ils sont des centaines.

Êtes—vous en colère ?

De temps en temps, j’ai des bouffées de colère. La colère vient du sentiment d’injustice, personne n’a le droit de s’en prendre à nous, on se dit « Pourquoi moi ? ». Mais ça s’atténue, je suis une personne relativement calme et la colère ne me correspond pas. Peut—être que ce serait mieux si je pouvais me mettre davantage en colère.

Quelle est votre priorité maintenant ? Écrire ou vous battre ?

On ne peut pas dissocier facilement ces deux actes. Écrire c’est déjà une façon de se battre pour survivre, une résurrection plutôt dans mon cas. Et en plus je ne peux pas me permettre le luxe de dire que maintenant ma vie ne sera consacrée qu’à mon travail d’écriture. J’avais pris une décision importante l’an dernier, je m’étais dit que si je n’étais pas arrêtée, j’allais quitter la Turquie, mettre fin à mes activités de journaliste et n’écrire que des poèmes et des romans. Et puis, facétie du destin, cette expérience de la prison m’a ramenée à mon statut d’éditorialiste. À l’heure actuelle, je préférerais revenir à la littérature, même si je sais que je devrais écrire sur la prison, et que ce sera, bien sûr, une approche politique.

Donc la prison vous a renforcé comme écrivain ?

Probablement. On dit que la prison est une bonne école pour les écrivains. Il y a eu tellement d’auteurs turcs emprisonnés dans les années 1960—70, dans le monde entier aussi, Dostoïevski par exemple qui a été déporté dans un bagne en Sibérie, mais c’est une expérience très difficile à transformer en bonne littérature. Écrire sur la prison c’est facile, mais écrire un bon livre sur la prison c’est plus difficile, ils ne sont pas si nombreux à avoir réussi.

Est—ce que le verdict de votre jugement, prévu prochainement, vous inquiète ?

Oui, avant chaque audience, dans les deux ou trois semaines qui précèdent, je deviens dépressive, voire suicidaire. Et ensuite, il me faut beaucoup de temps pour retrouver mon équilibre. Et à chaque convocation de la cour, je tremble comme une feuille, c’est très dur à supporter cette idée que les gens décident pour votre vie, et qu’ils se moquent de savoir si j’ai commis un crime ou pas, ils le savent parfaitement. Mais reste à savoir quelle condamnation ils veulent m’infliger. C’est horrible d’être dans cette attente.

Est—ce que vous avez pensé à ne jamais retourner en Turquie ?

C’est une option, mais dans ma liste, c’est la dernière option. Je veux garder l’espoir d’être acquittée, que les portes restent ouvertes, même s’il y a peu de raisons d’être optimiste pour la Turquie, ces deux ou trois prochaines années. Mais quand on est dans une situation aussi désespérée que la mienne, vous tentez de tenir la flamme de l’espoir allumée en vous.

Il y a de la tristesse dans vos yeux, est—ce qu’en Turquie vous êtes bien entourée par votre famille, vos amis ?

Je suis une personne solitaire, je l’ai toujours été. Les femmes qui écrivent sont souvent des femmes seules, particulièrement dans les pays musulmans. Mais heureusement, je suis lue par beaucoup de monde, et après la prison, j’ai eu énormément de soutien de la part des lecteurs, des écrivains et journalistes turcs qui m’ont exprimé leur grande solidarité. Après, le soir, quand je rentre chez moi, je me retrouve toute seule. Il ne me reste que ma mère, dont je suis proche.

Est—ce que vous voyez une issue à la situation en Turquie ?

C’est difficile. Je pense que l’opposition est majoritaire, mais désunie à cause du nationalisme qui monte de tous les côtés, la question kurde est en enjeu crucial, et il y a de plus en plus de peur face aux mesures drastiques prises par l’État. La majorité du peuple devient silencieuse. Les gens ont même peur de twitter. Et on peut le comprendre, personne n’a envie de perdre son emploi à cause d’un réseau social ni affronter la prison. Et même si ceux qui critiquent le gouvernement actuellement sont très nombreux, ils ne peuvent pas le faire d’une seule voix.

Vous rêvez d’une révolution ?

Non, mais protester est toujours d’actualité. Même si manifester est toujours aussi dangereux et coute la vie de beaucoup de gens. La Turquie depuis 5 ans est comparée à un état policier. La police a énormément de pouvoir et de rage. Et le moindre mouvement, même une manifestation de rue pour le droit des femmes, finit avec des femmes frappées et jetées sur le trottoir. Notre société est au bord de l’explosion, et ce qui me fait peur c’est que ça explose des deux côtés, car les Turcs sont de plus en plus armés, et semblent se préparer à la guerre.

Est—ce que les livres peuvent être aussi des armes pour combattre ?

Certainement, mais c’est beaucoup plus long. C’est comme planter des graines, vous attendez que les graines germent, et un tank peut détruire des millions de graines en une seule fois. Mais j’ai confiance dans la nouvelle génération qui est plus ouverte et moins oppressée que nous. Ils lisent moins, mais ces jeunes n’accepteront pas un dictateur aussi longtemps. Cela bien sûr nécessitera beaucoup de temps, de patience, de courage et d’espoir.

Quel serait l’avenir idéal pour vous ?

[Rires] J’aimerais me consacrer à la littérature, vivre dans une maison tranquillement avec quelques livres, du papier, des crayons, ce serait parfait !

http://www.rfi.fr/culture/20180110—rencontre—asli—erdogan—laureate—prix—simone—beauvoir

 

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